J'aidais une entreprise de transport à développer une formation à distance pour les manutentionnaires. L'objectif de l'apprentissage en ligne (e-learning) était d'enseigner aux travailleurs les règles et politiques spécifiques à leur industrie. Il s'agissait essentiellement d'un manuel de politiques imprimé converti en formation en ligne. Le contenu était aussi ennuyeux que possible mais essentiel pour que les travailleurs comprennent les attentes de leur métier. Certains éléments concernaient par exemple la manière de préparer différentes zones de réception avant l'arrivée d'une cargaison.
La façon la plus facile de le faire était de créer une version électronique du manuel et de laisser les travailleurs l'étudier. Le manuel en papier a fonctionné pendant des décennies; par conséquent, une version électronique du manuel papier fonctionnerait tout autant. De plus, des outils électroniques tels que des liens hypertextes et une fonction de recherche amélioreraient le processus d'apprentissage, ce qui permettrait aux étudiants de trouver plus facilement les informations dont ils auraient besoin. Aussi, l'ajout de quiz pour tester leurs connaissances les aiderait davantage.
La direction était déterminée à créer quelque chose qui ne soit pas ennuyeux. La solution proposée était une version électronique du manuel papier avec l'ajout d'images pour accompagner les différents sujets. La section sur le quai de chargement, par exemple, aurait une image d'un quai de chargement. La section sur la conduite dans le port comprendrait une photo d'un camion. Une idée parfaitement raisonnable.
La première ébauche du produit fini m'a pris par surprise.
Nous nous sommes réunis dans une salle de conférence et avons passé en revue le matériel sur un grand écran. C'était assez simple. Nous avons commencé par la section d'introduction, en vérifiant la formulation et la mise en page, puis nous avons abordé les différents sujets. Chaque section commençait par une image. Des zones de texte ont ensuite été superposées sur l'image pour s'assurer que les mots étaient lisibles. On nous a donné la possibilité d'avoir une zone de texte défilante, une nouvelle diapositive/écran pour chaque page de texte (en gardant la même image d'arrière-plan ou une image différente). La couleur du texte s'inspirait des éléments de l'image pour lui donner une esthétique agréable. Ça avait l'air vraiment bien.
La section sur le déchargement de la cargaison comportait une photographie de portiques de quai à l'aube. Les grues se découpaient sur un lever de soleil spectaculaire avec des nuages roses en cotonneux et des tons saturés. C'était si beau que je m'attendais presqu’à voir un filigrane du National Geographic. C'était le genre d'image que l'on trouvait ornant l'entrée du bureau du chef de triage ou sur la couverture d'un journal spécialisé. Quelqu'un a commenté la photo et tout le monde dans la salle a convenu que la photo était magnifique.
La section sur la coordination de l'équipage avait une photo d'un groupe de manutentionnaires posant pour la caméra. C'était un beau portrait aspirationnel. Les ouvriers souriaient et respiraient la confiance. Certains portaient des vêtements de travail bien repassés tandis que d'autres vêtements étaient visiblement souillés comme si les ouvriers venaient de terminer leur quart de travail. Deux d'entre eux tenaient des outils et deux autres étaient bras dessus bras dessous. L'un des réviseurs a suggéré qu'il aurait pu s'agir d'une affiche de film.
La section suivante est apparue et j'ai pris conscience de quelque chose. J'étais tellement occupé à admirer les images que j'ai mis fin prématurément à la discussion sur la clarté et la mise en page. J'ai ouvert le matériel sur mon ordinateur portable et réexaminé les écrans que nous venions de passer en revue. Je n'ai trouvé aucun problème, mais je me suis aperçu que je prêtais plus d'attention aux images qu'au texte.
Il ne fait aucun doute que les images ont rendu le matériel plus agréable, mais ont-elles ajouté à ma compréhension ? Je me suis retrouvé détourné de l'apprentissage. Les images ne renforcent aucune des informations contenues dans le texte non plus. Si elles avaient illustré des éléments critiques au matériel, cela aurait facilité le transfert des connaissances.
Après la réunion, j'ai fait part de mon inquiétude à un collègue qui s'est dit soulagé de ne pas être le seul distrait par les images. Malheureusement, le client était marié aux belles photos d'archives.
Mon collègue m'a montré un manuel de politiques imprimé sur lequel il avait travaillé dans le cadre d'un projet similaire pour un manufacturier. La seule fois où une image est apparue, c'était pour illustrer quelque chose en rapport avec la politique. Dans la section expliquant l'équipement nécessaire pour le travail en hauteur, une silhouette d'un travailleur portant un harnais indiquait exactement comment le porter et où se fixaient les différentes quincailleries. Au moment où j'ai regardé l'image, je connaissais la moitié du contenu du texte.
Lorsque vous concevez votre cours en ligne, chaque élément du matériel doit renforcer les objectifs d'apprentissage à distance et ne pas créer de distractions. Les décorations sont jolies, mais si elles ne contribuent pas à l'apprentissage, elles peuvent en fait entraver le transfert des connaissances.
Concepteur pédagogique
Pour aller plus loin: Richard E. Mayer and Roxana Moreno (2003). Nine Ways to Reduce Cognitive Load in Multimedia Learning. Educational Psychologist, 38, 43–52.